Havre de pêcheurs

Texte : Muriel Derivery |Photos : Cédrick-Isham Calvados

Nichés au fond d’une crique aux eaux calmes tur- quoise, outremer ou émeraude, les petits ports qui jalonnent le littoral abritent derrière leurs remblais de roches volcaniques ou calcaires les biens les plus pré- cieux des marins de l’archipel. Répondant aux noms évocateurs de « Dieu Protège », « Jésus est grand », « Ancestral », « Vinn vwè sa » (viens voir ça), « Nou la » (on est là), « Ça va barder », « Ric Rac », « Yes Papa »,ou même « Amour sans fin » et « Love machine », les jolies Saintoises appelées aussi boats composentencore l’essentiel de la flottille des Antilles. Conçues à l’origine par des charpentiers de marine bretons venus s’installer aux Saintes, elles ont fait quelques concessions aux temps modernes – voiles et rames contre moteur hors-bord, coque arrondie en bois de gommier et de poirier pays contre coque plus fuselée faite de matériaux composites – mais continuent d’ar- borer leurs couleurs tropicales en lieu de pavillons. Rythmée par les alé-vini (allers et venues) du petit matin et de la nuit tombante, la vie de ces ports de pêche se concentre souvent sur les pontons, où les marchandages au milieu des filets et des casiers vont bon train pour s’octroyer la plus belle dorade coryphène, le plus gros thazar, le marlin le plus com- batif, ou autour des petits établis de fortune aména- gés pour écailler, vider et découper les prises du jour tout en palabrant hautement. Loin du temps où la mer donnait sans compter, les pêcheurs d’aujourd’hui font acte de résistance pour conserver intacte la vocation maritime héritée souvent de leurs pères. La pêche est restée artisanale, et si l’on doit partir encore plus tôt et plus loin pour récolter ses fruits, on se sait malgré tout ange-gardien d’une certaine tradition de plaisir authentique qui fait passer directement le poisson de la main nourricière du pêcheur à l’assiette de celui qui savoure ce parcours à sa juste valeur.